jeudi 13 décembre 2007

Le Playboy

Chaque fois qu’on se retrouve dans un aéroport, mon chef et moi, nous avons l’habitude de manger du jambon (dernier repas chrétien) et d’acheter des revues, surtout française pour leur qualité ( !). Les revues, d’un commun accord tacite entre lui et moi, doivent couvrir le champ politique entier pour rester neutre, c’est-à-dire qu’il faut acheter depuis l’Express jusqu’à Le Point, en passant par Historia et l’Observateur.

La dernière fois que nous somme allés en Algérie, ce pays si accueillant, je lui demandai en attendant l’avion, comme à mon habitude, s’il voulait quelque chose. Comme toujours, il me répondit « achète-moi un penthouse ». Cette demande qui n’est pas destinée à aboutir nous permet, à nous les hommes, de nous situer fermement dans ce monde qui se féminise un peu plus chaque jour.

Comme c’était la millième fois qu’il me le disait, je me suis dit que j’allais lui faire une « bonne blague » (je suis un comique) et j’achetai donc un Playboy puisque le penthouse n’était pas disponible (on ne va pas chipoter tout de même).

Je dois dire que ça m’a fait grand plaisir de repasser (nostalgie, quand tu nous tient) ce petit moment de honte que j’avais lorsque j’achetais, à 14 ans, ces revues interdites rue de Neufchâteau à Arlon, sous le regard réprobateur de la madame qui néanmoins encaissait mon argent. Dans ce cas-ci, la fille qui encaissait l’argent (de ma compagnie, je ne dépenserais pas le miens pour ça) avait mon âge et avait un regard non seulement réprobateur, mais qui disait aussi quelque chose comme « quel pèquenot celui-là ». Pourtant, j’avais pris soin de mêler la revue maudite aux hebdomadaires d’information et d’histoire que j’avais également pris, ce qui aurait dû me permettre de passer inaperçu.

Bref, j’assumai courageusement mon geste et me dirigeai vers mon cher chef qui fumait nerveusement sa dernière vingtaine de cigarettes avant de monter dans l’avion. Il me demanda ce que j’avais acheté et moi, tout fier, de lui montrer ma super trouvaille, avec mon grand sourire. Sa réaction ne laissa pas de me décevoir puisque je notai son peu d’enthousiasme devant mon « cadeau », le fameux Playboy. Il me dit qu’il trouvait cela un peu déplacé (en espagnol : « ¿Pero eres gilipollas o qué ? ¿Crees que podemos entrar en un país como Argelia con una revista porno? ).

Bref, je n’ai pas atteint mes objectifs humoristiques, cela arrive même aux meilleurs. Ceci dit, plus le pays où vous allez est traditionaliste, plus ce type de cadeau fait plaisir aux chauffeurs qui vous conduisent. C’est donc pour l’offrir que nous embarquâmes avec nous la sulfureuse revue en espérant ne pas avoir de problème avec en passant la douane.

Nous eûmes tellement peu de problèmes que le magazine érotico-porno non seulement est parti avec nous, mais en plus est revenu, oublié tout seul dans une pochette de la mallette de transport de PC portable. Le chef s’en fut donc chez lui avec le magazine en question, que je me refusai obstinément à prendre en charge, pour me dît-il, l’offrir à son fils (voir dernière phrase du paragraphe 2) et j’en oubliai ainsi jusqu’à son existence (du magazine).

Trois semaines plus tard, c’est-à-dire il y a 3 jours, j’arrive le matin tranquillement au boulot et, au milieu des bonjours de mes collègues toujours si ravis de me voir le matin, découvre, sur ma table de travail, le fameux magazine en question, à la vue et au sus de tous, lâchement déposé la veille alors que je n’étais plus là pour veiller au grain. Alors là, oui, effectivement, j’ai eu honte. Honte de savoir que des gens pouvait se faire une image déplacée de moi (et Dieu sait que je ne m’intéresse pas seulement aux femmes nues), mais en plus, j’ai dû supporter mes collègues féminines lisant (regardant plutôt) et commentant page à page, le fameux magazine. Les commentaires allaient des seins des jeunes filles (« C’est tout des seins en plastique »), leur épilation à la brésilienne ainsi que leurs postures ridicules ou encore leur sous-vêtement de femme de mauvaise vie. Et j’avais beau leur demander de feuilleter discrètement, elles s’efforçaient de faire du bruit et de commenter à voix haute les quelques malheureux commentaires des jeunes filles comme « je suis une sauvage en amour », « j’aime que les hommes aies le contrôle », « je fais l’amour tous les jours » ou « je ne supporte pas les sous-vêtement alors je n’en mets pas ».

Et bien vous ne me croirez peut-être pas, mais j’ai fait disparaître le magazine au plus vite en le mettant dans une enveloppe munie de l’adresse de quelqu’un en Belgique, pour être sûr de ne jamais le revoir.